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Être et exister

Pourquoi nommer ce blog ainsi ? Car "exister" est selon moi une chose facile. Pour exister, il suffit de vivre - même pas de survivre - et d'être fait de matière. "Être", être vraiment, c'est autre chose, surtout dans le monde qui est le nôtre. À l'heure de l'information en direct et en continu à la portée de tous, à l'heure de la télé-poubelle, à l'heure de la déliquescence du vocabulaire, du savoir pur et dur, de la morale (et j'en passe) chez tant de nos semblables, à l'heure des crises économiques et des conflits armés aux quatre coins du globe, à l'heure où une troisième guerre mondiale est prédite par certains penseurs et vue comme impossible par d'autres, à l'heure où l'on nous dit donc tout et son contraire, "être" est, disais-je, tout autre chose. Être, c'est se questionner, observer le monde, l'analyser, tout ceci dans le but final d'en être acteur. Ce blog n'a pas la prétention de faire de "l'éducation populaire", je n'en détiens pas les moyens. Il n'a pas non plus pour vocation de changer le monde. Son seul but est de faire partager quelques réflexions, sur des sujets aussi variés que l'actualité générale, la société, la politique (pas forcément politicienne), le cinéma (de genre, principalement), et la musique (mais pas, ou rarement, celle dont les radios nous abreuvent comme on jette des graines à de braves moutons, faisant un "tube" de chaque nouveauté avant même sa sortie). J'ignore si ces réflexions, avec le temps, passeront de la bouteille jetée à la mer au pavé jeté dans la mare, mais c'est bien tout le mal que je leur souhaite (et que je me souhaite, par la même occasion). Bonne lecture à tous ceux qui s'aventureront dans (et entre) mes lignes.

Dunkerque (2017) de Christopher Nolan - critique du film

 

Christopher Nolan est désormais considéré comme un cinéaste sur lequel il faut compter. C’est un fait : il a imprimé son nom à l’époque qui est la sienne, qu’on le veuille ou non. Par ailleurs, il y a une signature Nolan. Des dialogues qui fourmillent d’informations, un souci du détail et du factuel, un travail de recherche préalable à la réalisation d’un film… Nolan, c’est – d’habitude - tout ça, et bien d’autres choses encore. À la lumière de tout cela, cet homme a son importance dans le cinéma et chacun de ses films est un événement attendu (avec avidité ou méfiance) par un grand nombre de spectateurs. C’est donc tout naturellement que je suis allé voir son « Dunkerque », et sans parti-pris puisque je place tout autant « Inception » au plus haut du classement de mes films préférés, alors que « Memento » est pour moi un pénible exercice de style (malgré d’indéniables qualités, là n’est pas le sujet).

 

Qu’en est-il donc de son film de guerre ? Eh bien, tout d’abord, ce n’est pas un film de guerre, du moins pas au sens où on l’entend habituellement. « Dunkerque », c’est une sorte de survival. Remplacez l’ennemi allemand (qu’on ne voit presque jamais d’ailleurs, on l’entend, on sent sa présence, il se présente à contre-jour…) par des créatures tapies dans l’ombre, qui attaquent à distance, et vous y êtes. Pour les scènes de combats aériens, c’est moins évident, d’accord, mais c’est l’idée.

 

Il serait donc bon d’adapter la question : « Qu’en est-il de son survival sur fond de guerre ? »

 

Pour ma part, j’en suis navré mais ce sera un « non ». L’intention est défendable, mais elle empêche à mon sens d’être pleinement emporté dans l’événement historique que constitue cette débâcle des Anglais et des Français à Dunkerque (ce que l’on nomme « l’opération Dynamo »). Nolan prend une somme de décisions qui ne m'ont ni permis de m’immerger dans son survival, ni de sortir grandi de ce qui aurait pu être un grand film de guerre.

 

Le minimalisme pour lequel Nolan a opté (qui tranche avec une partie de sa signature que j’évoquais plus haut) rend certaines scènes trop froides, sans émotion et sans repères, voire improbables. J’ai été autant dérangé par le manque d’identité des pauvres bougres que l’on suit tout le long du film (peu de traits de caractère, aucune information sur leur passé, chaque acteur devient une page vide et n’est destiné qu’à remplir une fonction), que par la réduction drastique des dialogues qui rendent certaines scènes peu convaincantes (franchement, dans les minutes suivant la décimation de votre bataillon par l’ennemi, vous iriez tranquillement faire vos besoins sur la plage et aider un inconnu à enterrer un autre inconnu à qui il a dérobé ses vêtements, sans dire un seul mot – et surtout sans vous demander s’il est Allemand, Français, Belge, Hollandais ou que sais-je ?). Tout ceci nuit à l’empathie, au réalisme, et empêche le spectateur de vivre l’histoire racontée.

 

Pour ce qui est de la « patte » Nolan, on la retrouve, mais plus vidée de sa substance que jamais. En quoi le découpage, en trois parties s’entremêlant, de la narration est, cette fois, justifié ? Tout cela complique encore les choses pour les spectateurs qui ne sont pas forcément au fait de la situation relative à cet épisode de la Seconde Guerre mondiale (et qui n’auront droit qu’à quelques maigres bribes écrites de contexte en début de film). Cela n’apporte rien, et les vagues plus-values (connaître dès le départ certains personnages qui n’apparaitraient éventuellement qu’en fin de film si la narration était classique) peuvent vite être mises à mal. En effet, on peut toujours présenter les personnages dans un autre lieu, avant qu’ils ne prennent part à l’action principale du film (option mise de côté par le choix que fait Nolan de se centrer sur les péripéties vécues par les soldats pour survivre), mais surtout : le fait de ne donner aucune personnalité aux protagonistes du film rend ce découpage inutile, puisque aucun personnage ne sort du lot. L’empathie du spectateur pour eux ne change donc pas, qu’un personnage soit présenté en début de film ou un quart d’heure avant la fin. On ne craint pas leur mort.

 

Sur l’aspect historique, « Dunkerque » est – volontairement – presque vide. On y apprend que les Anglais pensaient ne pouvoir sauver que peu d’hommes, qu’ils en ont finalement sauvés beaucoup, que des Français également ont été sauvés (mais que les Anglais passaient en priorité), qu’Hitler a momentanément arrêté ses troupes avant Dunkerque pour une raison inconnue dans le film (mais qui anime encore des débats historiques aujourd’hui), ce qui a entre autres laissé du temps pour organiser l’évacuation des troupes anglaises. On prend également connaissance du fait que des marins civils anglais ont été mobilisés pour y participer, et c’est à peu près tout. Pour un épisode important de cette guerre et dont on entend peu parler, avouons que ça fait léger et qu’un goût de gâchis plane sur tout cela. Sans compter qu’en arrière-plan, en 1940, des tas de subtilités mêlant diplomatie et stratégie de guerre ont vu le jour, et il y avait certainement matière, pour un Nolan, à nourrir son film avec autre chose que des bateaux qui se font couler, moins de dix avions qui se battent dans le ciel (minimalisme, vous disais-je), et des inconnus (au bataillon – humour !) qui tentent de sauver leur peau. Cela mène également à ne jamais mentionner les sacrifices faits par les soldats français pour ralentir la Wehrmacht. Un oubli assez gênant, décevant vis-à-vis des habitudes pointilleuses de Nolan dont je parlais en introduction.

 

En résumé, « Dunkerque », c’est montrer des personnages sans les présenter, et montrer une guerre sans la raconter.

 

Hans Zimmer, à la composition musicale, continue à expérimenter des choses, comme sur « Interstellar ». Mais là également, une idée sur deux m’a paru intéressante. Ces longues plages sonores destinées à faire ressentir la tension m’ennuient plus qu’elles ne m’inspirent des émotions. Au contraire, un thème centré sur une sorte de « tic-tac » (aux allures de compte à rebours annonciateur du pire) fonctionne, lui, très bien. Cela ne permet, hélas, pas à Zimmer de livrer une bande originale mémorable.

 

Je ne tenterai pas ici de percer le mystère de ce qui a bien pu se passer dans la tête de Christopher Nolan lorsqu’il s’est investi dans ce projet. A-t-il trop réfléchi ? À vouloir réaliser un film hors des standards (ceux du « film de guerre » et les siens également), s’est-il laissé emporter par des choix qui semblaient géniaux sur le papier, mais qui ne permettent pas à « Dunkerque » de décoller vraiment, une fois à l’écran ? Lui a-t-on fait une inception pour qu’il manque le coche ? Allez savoir…

Toujours est-il qu’à mon goût, la sauce ne prend pas, et que je me suis ennuyé lors de cette séance.

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